Il est tard, bien trop tard pour parler d’éclat, bien trop tard pour parler tout court. A vrai dire, là Mila, n’avait pas envie de dire quoique ce soit. Elle était fatiguée, lassée de toutes ces connections qui s’enchainaient encore tout le long du jour pour ne laisser qu’un vide intersidéral au creux de son plexus. L’entrainement lui permettait de ne pas penser et les efforts continus qu’elle faisait subir à son corps ne lui donnaient comme autre alternative que de rentrer directement au dortoir, prendre une douche, quand elle en avait encore la force, puis se coucher.
Se coucher, et se laisser aller, ailleurs, partout, nulle part, il était trop tard. Trop tard pour faire machine arrière, trop tard pour s’échapper. Un long soupir parcourut son corps entier. Elle était allongée, la lumière lui faisait peine. Peine aux yeux, qui ne voyait rien d’autre que le contraste d’un tableau inachevé. Elle se leva avec difficulté, atteignit l’interrupteur et appuya. Noir. Parfait, noir comme le soir, noir et dérisoire, noir et désespoir, noir et entonnoir. Entonnoir ? Mais c’est moche ! « on s’en fout, ca rime » disait Joker en écho.
Il se mit en boule tout contre Mila, qui s’était depuis remise dans son lit, sans même prendre le temps de défaire ses draps. Pourquoi faire ? Elle n’avait ni chaud, ni froid. Une boule oppressante se faisait sentir au niveau du plexus, un vent froid de soirée qui la parcourait en long. Elle avait l’habitude d’être le réceptacle. Une pointe à la tempe gauche, encore, toujours le même appel, qu’elle n’écoutait pas, elle ne voulait pas savoir.
Et pourtant la pointe s’élargit en barre comme du chocolat qui fondait et se répandait. Un goût sucré de fantaisie avec ce côté désagréable d’être amenée à apprécier cela et d’être dans l’attente d’en redemander. Encore. Jamais. Elle n’écoutait pas cette voix qui lui disait que quelqu’un tapait à la porte de sa conscience. Mila avait un pouvoir d’analyse, on ne pouvait pas dire que c’était un pouvoir à proprement parlé, appelons cela, talent inné. Oui c’était inné chez elle, elle était le réceptacle, le point de mire, elle comprenait et voyait. Trop loin.
Inspiration, expiration, rationalisation. Inspiration, expiration, méditation.
Elle sentait s’enfoncer dans le moelleux nuageux qui lui donnait à cet instant présent la sensation d’être entre ici et là bas. Respiration, expiration, ses tensions se relâchent, le front qui se détend, les dents qui se desserrent, les épaules s’assouplissent, le ventre se décontracte ; la respiration se fait plus souple et la chaleur propre de cette machine humaine reprend tous ses droits telle une aura impalpable qui enveloppe l’être. Elle plie ses doigts pieds, moment solennel, dernier chapitre de la transition. Un souffle long, vidant de tout son contenu, enfin pas littéralement, Mila.
Le museau froid se posa sur sa joue, quelqu’un tapait à la porte, non elle ne voulait pas entendre.
Toc toc toc…
Mais quelqu’un était vraiment à sa porte, pour de vrai. Si elle faisait semblant de pas entendre ; la personne continuerait son chemin. Peut-être ?!?
Toc toc toc…
Bon ce n’était pas le cas.
Joker curieux, fébrile, insistait en la bousculant ; puis finis par abandonner toute attente de coopération et alla lui-même ouvrir la porte. C’est que Mila ne l’avait pas fermé à clé.
En entendant le bruit de la poignet, la jeune fille habillée de son shorty et de son haut qui lui allait trop grand, se releva de sa position allongée, pour se tenir assise appuyé sur sa main.